mercredi 30 septembre 2015

Une dictée par jour....

Bon... Il paraît qu'elle rigolait, Najat, il paraît que c'était une blague quand elle a promis une dictée par jour en primaire à partir de l'année prochaine. Le Figaro crie au scandale d'ailleurs, ils y croyaient, eux! Et surtout, ils trouvaient ça plutôt bien. Le journal de la réac'titude, les hérauts du "c'était mieux avant", ils sont déçus... Mais qu'est-ce qui lui a pris, à Najat?

J'aime écrire, tu l'auras compris. Je fais sûrement des fautes mais peu. Et la plupart du temps, je les corrige en relisant. J'ai depuis toujours écrit quasiment sans faute. Ni d'orthographe, ni de conjugaison, ni de grammaire, ni de syntaxe. Petite, comme maintenant, ça ne me demandait aucun effort. Je ne suis pas en train de me vanter là *. Je constate un truc qui m'échappe complètement. Lire une faute, pour moi, c'était comme entendre une fausse note pour un musicien. Enfin je le suppose parce que, à moins d'être flagrantes, moi je n'entends pas les fausses notes. Je me souviens d'un concert de baroque à l'église de St Germain des Prés, quand je suis arrivée à Paris. Une copine m'y avait traînée. En sortant, elle m'a demandé mon avis sur la prestation de la pianiste. Elle, elle trouvait que, malgré quelques fausses notes, les morceaux avaient été joués avec âme. Je n'avais entendu aucune fausse note. Moi, j'avais surtout eu froid. La copine en question ne pratiquait aucun instrument et n'avait étudié le solfège qu'au collège. Comme moi. Mais elle, elle entendait les fausses notes dans un concert classique.

Dès que j'ai eu 8/10 ans, mon père m'a demandé de relire les lettres, administratives ou autres, qu'il écrivait. Parce que, lui, il faisait 10 fautes à la ligne. Et je n'exagère pas. Je lui remettais son texte d'équerre en remodelant au passage une formule, un bout de phrase en deux temps, trois mouvements. Ca déclenchait chez lui une espèce d'admiration révérencieuse. Il ne comprenait pas comment c'était possible. L'explication communément admise était que je lisais beaucoup. Lui, mon père avait péniblement obtenu son certificat d'études en galérant comme un malade à chaque dictée. Il avait été humilié toute son enfance par ses instits, ses parents, qui lui répétaient qu'il ne faisait pas assez attention, qu'il était un feignant et qu'il devait apprendre pour réussir.

Récemment, j'ai rencontré un adolescent dont l'humour, la vivacité d'esprit et le sens de la répartie m'ont enchantée. Et je suis déjà entourée de beaucoup d'ados plus drôles et intelligents les uns que les autres. Ce gosse m'a fait rire, mais rire.... C'est un gamin très cultivé, avide de comprendre, avec des idées parfois lumineuses sur la géopolitique, sur l'écologie, etc... Il lit énormément, des fictions surtout.... Bon. Tu me vois venir? Il fait vingt fautes par dictée. Trente parfois. Ca le déprime, ça le lamine, ça lui fait honte.... Il n'y peut rien. Tu l'imagines vivre cette émotion de honte, ce sentiment d'exclusion une fois par jour? Heureusement qu'il est trop vieux maintenant pour retourner à l'école de Najat. Il souffre déjà suffisamment en 3ème avec une dictée par quinzaine !

Qu'est-ce qui se passe en France? Nous sommes épinglés par PISA** régulièrement. Non seulement pour notre faible niveau en math ou en enseignement des langues par exemple mais aussi pour avoir un système scolaire qui augmentent les inégalités sociales au lieu de les réduire. Oui, je sais, ce n'est pas ce que tu entends à la radio ou ce que tu vois à la télé. Dans les médias, ce que tu entends, c'est que nous avons le meilleur système de santé du monde, la meilleure école au monde, les meilleurs enseignants, bla bla bla... Bah non. Et pour ça, il suffit d'avoir voyagé un peu ou même seulement d'avoir parlé avec des étrangers pour comprendre que ce n'est pas vrai. J'allais dire que, peut-être, nous avions le système éducatif le moins cher au monde mais même pas! La Cour des Comptes vient de sortir un rapport qui dézingue ça aussi, avec des lycéens qui nous coûtent 10 000 € par an pour un résultat médiocre***. Quand je dis "les lycéens nous coûtent", c'est faux. C'est le lycée qui coûte 10 000€/élève, c'est différent.

Bref.... La religion chez nous, c'est l'orthographe et les tables de multiplication. Ca, c'est le dogme absolu: ce que l'on appelle "les bases". Aaaah les bases.... Assise régulièrement en conseil de classe, j'entends "il lui manque les bases", "elle n'a pas les bases", ce qui se passe de commentaire pour tout le monde. De fait, ça semble tellement logique, comment réussir quand on n'a pas les bases?

Ce qui n'est pas remis en cause, c'est que d'une part, les "bases" déterminent le reste (va apprendre la musique classique si tu ne sais pas lire), et que d'autre part, les "bases" ont été déterminées il y a très, très longtemps. Lorsque savoir lire et écrire suffisait à faire de toi un homme pensant. Je dis un homme parce qu'à l'époque, la question n'était pas d'enseigner la lecture aux femmes, la question concernant les femmes était de savoir si elles avaient une âme. Ou pas. Comme les vaches ou les chiens. Si, si, ça date de si loin que ça, les bases qui régissent encore notre enseignement. Lire, écrire et compter. Charlemagne, quoi.

Depuis 1983, nous savons (ou pourrions savoir) que les intelligences sont multiples ****.  Que si l'intelligence verbale et l'intelligence logico-mathématique dominent dans l'enseignement proposé à l'école, elles sont loin de représenter la totalité des intelligences humaines. Le problème, c'est que le pouvoir de décision est aux mains de personnes qui sont largement pourvues en intelligences verbale et/ou logico-mathématique. Forcément, ce sont ceux qui réussissent à l'école. Tu vois un énarque, tu as compris: il cause, il compte. Point. Moi qui te parle, tu auras compris aussi que je me base sur une intelligence linguistique/verbale et -moins- logico-mathématique pour écrire et réfléchir tout ça. Mais il y a aussi de l'intelligence inter-personnelle et de l'intra-personnelle dans mes textes, un peu de spatiale et de naturaliste et pas autant que je voudrais de kinesthésique ou de musicale.

Je fais l'hypothèse que nous ne serions pas dans la même pré-catastrophe écologique si nous avions laissé plus de place aux personnes pourvues d'intelligence naturaliste. Que nous vivrions dans d'autres maisons, que nous ne verrions pas ces mêmes barres d'immeubles ou ces centres commerciaux hideux si les écoles d'architecture avaient plus valorisé les apports des intelligences kinesthésiques et inter-personnelles. 

Gardner a parlé d'une 9ème intelligence, qui n'est même pas mentionné sur Eduscol, il s'agit de l'intelligence existentielle (ou morale ou spirituelle). Celle-là, il est grand temps que tous nous l'explorions.


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* Me vanter, ça serait te dire que mon chien s'assoit dès que je le lui ordonne. Ca, je te jure, quand elle le fait, mais qu'est-ce que je suis fière!

** Pour celles et ceux qui ne connaissent pas PISA, voici l'article en français le plus clair que j'ai pu trouvé. Et il est.... canadien. Bien sûr  http://www.pisa.gc.ca/fra/accueil.shtml


Le Monde et le rapport PISA:  
http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2013/12/03/classement-pisa-la-france-championne-des-inegalites-scolaires_3524389_1473688.html

*** https://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-cout-du-lycee

**** Les intelligences multiples:
http://eduscol.education.fr/cid52893/zoom-sur-les-intelligences-multiples.html
http://www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-les-intelligences-multiples

dimanche 27 septembre 2015

Les mots pour le dire....

Le premier 45 tours que j'ai acheté lorsque j'étais ado, c'était "Man gave names to all the animals" de Bob Dylan. Bon.... Ca dit sûrement quelque chose sur mon âge: oui, quand j'étais ado, il y avait encore les 45 tours, et les cassettes, et les walkman qui pesaient 800 grs.

En revanche, je suis formelle, ça ne dit rien mais absolument rien sur mes goûts musicaux. Mais rien du tout! Je n'ai plus jamais acheté de disque de Bob Dylan et plus jamais rien écouté de lui après. Moi, si tu veux tout savoir, mon protest-singer préf de préf, c'est Leonard Cohen. Tu vois tout de suite la différence, non?

Mais j'ai acheté "Man gave names to all the animals", je ne peux pas le nier. Je crois que ce qui m'a attirée, c'est l'idée que le texte défendait, l'idée que l'ours ne se nommait "ours" que parce que l'homme l'avait décidé ainsi. Et plus largement, l'idée que, si quelque chose n'existait pas dans l'environnement d'un humain, il était probable qu'il n'existe pas de mot dans son lexique pour le représenter. J'avais exactement 12 ans quand le disque est sorti et cette idée-là, je te le dis franchement, ça m'a fascinée.

Evidemment, historiquement, plus l'humain s'est baladé et a échangé, plus son vocabulaire s'est élargi et enrichi des notions des autres. Comme ça, même à Paris, on a pu nommer une girafe ou un océan alors que le concept "girafe" ou le concept "océan" n'avait pas de réalité concrète à Paris. Ou si tu veux un autre exemple, ça permet à la famille Al Assad de parler de liberté. Ou bien à Macron de parler de social... Bref, tu vois l'idée.

En revanche, il reste des notions qui n'existent pas du tout dans notre langue, pourtant très riche. Par exemple, il paraît que les Inuits ont plus de 12 mots différents pour parler de la neige. Je ne te parle pas là de glace ou de gel, non, juste pour la neige. Ils ont un mot pour la première neige de la saison, pour la neige de la nuit, pour la neige qui tombe, celle qui est au sol, celle qui gèle, celle qui fond.... Forcément, ils ont construit tout un lexique autour de la neige puisque, une bonne partie de l'année, la neige EST leur monde. C'est important de pouvoir décrire les particularités et modifications de ton monde.

Mon enfant n°2 vit à Londres. Techniquement, c'est une de mes deux beaux-enfants. On ne va pas chipoter, je ne suis pas leur mère mais ce sont mes enfants. Là! Donc n°2 fait ses études à Londres. Elle est de plus en plus investie dans la vie, y compris professionnelle et, en particulier, elle est présidente de l'association LGBT de son école. LGBT, je le rappelle: Lesbian, Gay, Bi, Trans. 
Je suis très fière de la voir prendre sa vie à bras le corps et aussi qu'elle s'épanouisse dans un projet visant à défendre les droits humains. Heureuse aussi de pouvoir en discuter avec elle même (peut-être surtout) si elle bouscule -volontairement ou non- les idées préconçues ou reçues que nous pouvons, son père, ses frères et moi, avoir sur ces questions.

Comme elle se documente, discute, élabore sa pensée sur ce sujet en anglais, elle a parfois des problèmes de traduction et il nous arrive souvent de réaliser que le mot qui existe en anglais pour décrire une situation bien précise n'existe tout simplement pas en français. Ou alors qu'il existe mais d'une façon tellement confidentielle que seuls les "intéressés" le connaissent. Par exemple pansexuel *, ou asexuel, ou fluide***, tu connaissais, toi? Et les 52 "types de "genre" que tu peux choisir sur Faceb00k pour te représenter au plus juste **?

Au début, je t'avoue, lorsqu'elle a rapporté tout ça à la maison, nous nous sommes trouvés un peu encombrés, avec son père. Evidemment, comme des imbéciles que nous sommes parfois, on a un peu rigolé. Comme disait Coluche: "nan mais c'est rien, c'est les nerfs!". Et nous nous sommes demandés, je crois, où est-ce que ça l'emmenait et où ça allait finir. Et je réalise que c'est surtout là que nous avons fait preuve d'un manque d'intelligence caractérisé parce que "ça" ne l'emmène nulle part et surtout, "ça" ne va pas finir. 

Je crois qu'en reconnaissant le nom donné à un concept, concept qui recouvre lui-même une réalité humaine, en utilisant ce mot et en le faisant connaître autour d'elle, elle organise le monde dans lequel elle va vivre, dans lequel elle vit déjà mais qui ne nous est peut-être pas encore tout à fait apparu. Elle donne à voir ce que nous n'avons pas encore complètement vu. 
Cela représente pour nous beaucoup plus que ce qu'elle peut réaliser parce que nous, nous avons grandi dans un monde où les homosexuels (je parle des hommes en particulier mais les femmes, c'était à peu près pareil) n'existaient pas en tant que concept. Les hommes qui aimaient les hommes et/ou qui avaient des relations sexuelles avec eux était des pédés, des pédales, des tantouzes, des folles, des pédérastes (petite, pédéraste, je crois que c'est ce que j'entendais de moins offensant). Et ce qu'ils vivaient, ces hommes homosexuels, se trouvait, au moins dans l'esprit de ceux qui prononçaient ces mots-là, et parfois malheureusement dans le leur, diminué, péjoré, sali. Les hommes qui aimaient les hommes n'était non seulement pas reconnus mais ils étaient considérés (au mieux) comme des erreurs de la nature. 

Aujourd'hui, comme hier, il existe des hommes qui aiment les hommes mais il y a maintenant un vrai mot pour les représenter, un mot neutre, sans affect, pour décrire qui ils sont. C'est sûrement réducteur encore, et bien trop "étiquette" pour être satisfaisant mais ça a le mérite de leur donner une existence au monde, une légitimité aussi parce qu'une fois que l'homosexualité est reconnue comme une réalité humaine, elle est défendable, elle est légitimable, et légitimée dans beaucoup d'endroits, elle n'est plus une "erreur de la nature".

Il existe donc maintenant aussi, comme n°2 nous l'a fait découvrir, des mots pour désigner les gens qui aiment sans considération de genre ou de sexe,  ou ceux qui aiment un jour ici, l'autre là. Cela n'enlèvent rien au fait que nous relevons tous de la même humanité, cela signifie juste que leur spécificité est, ou leur sera, reconnue.

Et je suis heureuse de me dire que le monde dans lequel je suis née a changé et j'espère bien qu'au moment où je mourrais, d'autres réalités humaines auront été reconnues comme respectables et légitimes. Tout ce qui précise la description de ce qu'est un humain nous permet de mieux en percevoir les contours, les nuances et les richesses. Et pour cela, nous aurons sûrement besoin de beaucoup de nouveaux mots. Pour pouvoir le dire. 


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 * Le terme pansexuel est dérivé du préfixe grec -pan, qui signifie « tous ». De manière simplifiée, la pansexualité désigne la capacité d'aimer un individu sans considération pour son genre ou son sexe5,8,9. Bien que le terme « tous » soit appliqué, cela ne se réfère pas aux divers fétichismes mais uniquement à l'identité de genre. Un individu pansexuel fait abstraction du genre et du sexe de ses partenaires et ne s'attache pas à ce qui est considéré comme une étiquette. Pour la personne pansexuelle, c'est la personnalité qui compte. L'individu ne fait donc pas de différence entre tous les genres, qu'ils soient binaires (masculin et féminin) ou non-binaires. Cela peut être considéré comme militant dans le sens où lorsque l'on se déclare pansexuel, on met tous les genres et tous les sexes sur un pied d'égalité et on refuse d'être classé selon les trois orientations sexuelles officielles. Il est donc difficile de donner une définition précise de ce concept, puisqu'il est caractérisé seulement par le rejet de toute contrainte ou barrière dans la sexualité. Cependant, les barrières légales (âge, consentement, liens de filiation) sont généralement respectées par les tenants de cette pratique.
La pansexualité n'est pas liée à un type de relation : la fidélité, l'infidélité, le couple libre, la sexualité de groupe sont pratiqués par des pansexuels et rejetés par d'autres comme c'est le cas chez les individus se définissant comme hétérosexuels, homosexuels ou bisexuels.

** http://www.slate.fr/culture/83605/52-genre-facebook-definition

*** http://www.urbandictionary.com/define.php?term=fluid+sexuality 

****Le terme américain "queer" signifie étrange, louche, de travers. Insulte du vocabulaire populaire équivalent au français "pédé", avec la connotation de "tordue", queer s’oppose à "straight" (droit) qui désigne les hétérosexuels. Ce courant de pensée militant (Queer Theory) né dans les années 1990 remet en cause les catégories d’identité sexuelle : identités de genre (homme et femme) et d’orientation sexuelle (hétérosexuelLE et homosexuelLE). Le queer ne se limite pas à combattre les inégalités ou les dominations entre ces catégories - l’homophobie ou le patriarcat - mais remet en cause l’existence même de ces catégories.

vendredi 25 septembre 2015

Tout se transforme....

Quand j'ai commencé le blog, cet été, mes idées étaient plutôt autour des enfants et de la parentalité. Et puis, petit à petit, je me suis rendue compte que mes envies, mes réflexions me portaient aussi vers d'autres sujets.... Dont j'ai parlé. 

L'hôm', qui suit ça de près (je ne lui en laisse pas vraiment le choix: "dis, t'as lu mon article?", "Dis, tu me donneras ton avis sur...."; "Ah au fait, j'ai écrit un nouvel...."), l'hôm' donc m'a fait remarquer que le nom du blog ne correspondait plus vraiment au contenu. Il a raison. Mais ça ne m'arrange pas. Si tu crois que c'est facile de trouver un nom de blog.

Hier, dans le train, j'ai revu ma journée et j'ai souri en me disant que je faisais avec mes clients comme je faisais dans ma tête: je mettais de l'ordre. 
Et, en regardant en arrière ma vie professionnelle, j'ai réalisé que, dans mes deux autres professions pourtant très différentes, c'était ce que j'avais fait aussi: j'avais mis de l'ordre. 
Et, en regardant avant encore, j'ai réalisé encore que, petite, j'avais mis -maladroitement et souvent sans succès notable- j'avais tenté donc de mettre de l'ordre dans le chaos qu'était ma famille, j'avais mis de l'ordre dans les relations, dans les générations, dans les histoires familiales. 

Je mets de l'ordre, ça me calme, ça me fait réfléchir. Je ne mets pas les choses dans des cases. Au contraire, parfois, je sors un vieux truc bien poussiéreux qui n'avait pas bougé d'endroit depuis.... longtemps. Je l'époussette et je le regarde autrement, pour qu'il se range ailleurs. Ou alors, je regarde une toute jolie chose toute rutilante et je la renverse pour ne pas la ranger dans son placard standardisé. Mais plutôt la laisser vivre et évoluer.

Bref. Le blog change de nom, je mets de l'ordre dans le chaos. 

Et oui, ça peut paraître prétentieux. Et ça l'est sûrement.  

Mais j'ai toujours pensé que je ne pouvais changer le monde qu'en me changeant d'abord, moi. Donc je mets d'abord de l'ordre dans le chaos de ma tête et puis, j'ai la prétention de penser que ça peut, à sa mesure, mettre de l'ordre un peu plus loin. Comme des ondes sur un étang.


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mercredi 23 septembre 2015

On n'en meurt pas (2)....



Il y a quelque temps, l'image d'un petit garçon de 3 ans, photographié mort sur une plage turque, a fait le tour du monde. Et cette photo, comme d'autres avant, a un peu changé la façon dont les gouvernements européens, si sensibles à leurs opinions publiques, traitent cet exode de réfugiés. En ce qui me concerne, je pense que je n'oublierai jamais cette photo.

Juste après, comme un affreux télescopage, s'est tenu le procès des parents d'un petit garçon, de 3 ans également, mort également, mais lui dans une machine à laver parce que son père l'y avait mis, avant de lancer un programme essorage. Le père "ne le supportait plus".  Alors que les parents avaient commencé à raconter une fable de chute dans l'escalier, c'est la "grande" soeur de 5 ans qui a précisé au médecin et aux flics que "Papa avait mis Bastien dans la machine à laver". 

Si j'y pense en ce moment, je sais déjà que je vais probablement oublier Bastien, et les circonstances de sa mort, comme j'ai oublié Marina avant lui, ou Johnny, ou cette petite fille dont le prénom même m'échappe et dont le père a été condamné pour torture et meurtre. TORTURE et MEURTRE.

Et je me demande bien pourquoi, toi comme moi, nous oublions aussi rapidement la vie de souffrance, puis la mort de ces enfants-là. Je me demande pourquoi cela ne mobilise pas plus les foules, je me demande ce qui fait que, une fois l'émotion retombée, ces enfants disparaissent de nos mémoires. Quel est le processus mental, le phénomène neurologique qui fait que nous nous retrouvons totalement pétrifiés d'horreur, littéralement submergés par la tristesse et la rage puis, abracadabra, plus rien? Je fais l'hypothèse qu'il y a là quelque chose de très puissant qui se met en oeuvre. Mais quoi exactement? Je ne sais pas. 

Dans ce cas précis, les services sociaux ont été prévenus et n'ont pas pu (su?) empêcher. Il est évident que ne sont médiatisés que les "ratés", les "loupés", les "ah-non-on-savait-pas". Tous les gosses, les autres, sauvés tous les jours par la DDASS ne paraissent pas en première page des journaux, ça ferait pas vendre, Coco.... 

Pourtant, il me semble que, quand même, on devrait pouvoir empêcher que des enfants, sans défense, soient maltraités jusqu'à la mort. Je vais revoir les mots de ma précédente phrase: Il faut empêcher ça. Efficacement.

Mais pour que vraiment ce soit possible, je vois au moins deux pré-requis. 

D'abord, il est essentiel que la société entière change de regard sur les enfants. Comme je le disais ici, ici et ici, il semblerait que notre société n'accepte pas, ou avec grande difficulté, qu'un enfant soit un enfant. Nous avons, nous tous, des attentes par rapport aux enfants, qui sont complètement disproportionnées par rapport à leurs capacités réelles.  
Nous leur demandons de nous accompagner dans les magasins et de ne rien vouloir. Alors que des adultes intelligents et diplômés et formés à ça passent des journées entières à imaginer ce qui va bien pouvoir nous faire acheter tel ou tel produit et le rende, ce produit, plus attrayant et indispensable à nos yeux que de l'eau dans le désert. Et nous-mêmes, nous n'avons pas assez de bras pour remplir le caddie. Eh bien, non, les enfants, eux, ne peuvent rien convoiter. Et pas demander. Et pas insister. Et pas crier. D'toute façon, t'auras RIEN, j'ai dit! 

Nous demandons aux enfants de rester assis au moins cinq heures par jour. Pour les plus grands, jusqu'à huit heures. Et sans bouger. Sans râler. Sans bavarder. Concentrés. Attentifs. Aucun adulte ne sait faire ça, en vrai, personne. Il n'y a qu'à voir les machines à café ou les sorties de bureaux ou de magasins devant lesquelles de nombreux employés (adultes donc) tapent la tchache et fument leur clope. 

Mais les enfants à l'école, ça doit faire mieux. Une récré par demie-journée et basta!

En rentrant de l'école, vite, vite pour le goûter, les devoirs, le bain, le dîner, pipi, les dents et pouf au lit.... Parce qu'il faut bien un peu de tranquillité aux parents quand même.

Il y aurait des tas d'exemples mais tu as compris où je veux en venir. Chez nous, les enfants ne peuvent pas se comporter comme des enfants. Certains parents parviennent à transiger avec cette attente et vivent la plupart du temps une relation harmonieuse avec leur enfant. 

Mais d'autres intègrent ce diktat sociétal de façon littérale, ils viennent y ajouter leurs propres fêlures, leur propre histoire et punissent, giflent, frappent, cognent, enferment, humilient ou lancent un programme essorage. 

Je fais l'hypothèse que si la société demandait moins aux enfants, ces parents-là auraient peut-être un peu moins ce rôle de courroie de transmission du système à jouer et que leurs démons intérieurs seraient peut-être moins "légitimés" * par l'attente que nous avons par rapport aux comportements de leurs enfants.

Ensuite, ce qui doit être revu chez nous, dans notre société et notre système légal, c'est la primauté du biologique. 

Je pense profondément que chaque parent veut consciemment ce qu'il y a de mieux pour son enfant. Je crois tout aussi profondément que nous ne sommes pas tous à égalité là-dessus et que certains parents ne peuvent pas, ne doivent pas rester les parents de l'enfant qu'ils maltraitent. 

Et oui, merci, je me rends bien compte de ce que j'écris. Et heureusement, même si ce n'est pas encore une majorité, des voix se font entendre pour aussi réclamer une modification dans notre mentalité, et dans nos lois (pas nécessairement dans cet ordre d'ailleurs). 

Parce que là où l'esclavage a été aboli, là où les femmes se sont émancipées, là où les ouvriers ont pu légitimer leur droit à la sécurité par exemple, il reste une partie de la population sans droit réel, sans voix et sans recours: les enfants.

Aujourd'hui encore, la justice, les services sociaux valorisent la relation parents-enfant contre vents et marées et font tout pour la maintenir au détriment souvent de l'enfant lui-même. Il suffit de lire les témoignages éloquents d'éducateurs ou de médiateurs familiaux ** pour connaître une réalité terrible: des enfants terrorisés et malheureux sont, même après avoir été placés en foyer sur ordre de justice, amenés à leurs parents  au nom du sacro-saint droit parental et au prétexte d'améliorer la relation! 

Je n'ai pas réussi à trouver de chiffres sur le nombre de parents déchus de leur autorité. En revanche, l'INSERM avance le chiffre de deux enfants par jour, tués en France. Tu as bien lu. 
Et c'est l'INSERM qui le dit, le lien vers les résultats et méthodologie de l'étude sont plus bas. Et pour d'autres références (parce que je vois bien que tu penses que j'exagère, comme d'habitude), des liens vers des articles du Monde ou de La Croix.

Il faut que ça cesse.
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* Tu noteras les guillemets s'il te plait.
** Je te conseille chaudement les deux excellents ouvrages de Daniel Rousseau, pédopsychiatre de la pouponnière de la Dass à Angers qui témoigne dans ses livres de ce que je dis ici rapidement :  "Les grandes personnes sont vraiment stupides" et "Le pouvoir des bébés".
INSERM: https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0CCIQFjAAahUKEwj4nPTU5-zHAhUWXIgKHRbSCpM&url=http%3A%2F%2Fwww.inserm.fr%2Fespace-journalistes%2Fenfants-maltraites.-les-chiffres-et-leur-base-juridique-en-france&usg=AFQjCNETNpI8ESEdOMYpmyZzVxWob157Ew&sig2=UrldHyfpvmSDdZ-Rs6p-iw
Le Monde: http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/06/14/enfants-maltraites-deux-morts-par-jour_3430128_3224.html
La Croix http://www.la-croix.com/Actualite/France/Maltraitance-des-enfants-ce-qu-il-reste-a-faire-apres-l-affaire-Marina-2013-04-11-941067



mercredi 9 septembre 2015

Les étiquettes, ça colle.....

 Ca me fait penser au pansement du Capitaine Haddock, dans je ne sais plus quelle aventure de Tintin. Le pansement qui se colle partout et qui est toujours là, impossible à enlever. Je demanderai à Gérard Guasch* et son Tintin sur le divan

C'est vrai que ça colle, les étiquettes. Ce n'est pas très bien vu des sommités du développement personnel. A longueur de bouquins et de conférences, ces gens t'expliquent que les étiquettes, c'est mal.  Et, en même temps, toi, tu sais que c'est commode. Ah si, c'est commode! Que celui ou celle qui n'a jamais, à la machine à café ou ailleurs, utilisé une étiquette pour justifier, étayer ou argumenter son propos d'un "ben tu sais, c'est un pervers narcissique." ou bien un "attends, elle est complètement hystérique!" me jette la première pierre.  C'est pratique, rapide, efficace. Bon, c'est vrai, ça colle.

Et puis aussi, les étiquettes, ça rassure. Si, je t'assure. Au début au moins, les étiquettes sont parfois le résultat d'un diagnostic qui n'est pas toujours en soi quelque chose de rassurant mais qui donne une explication et une légitimité aux comportements, aux douleurs, aux incompréhensions qui peuvent émailler une vie. 
Je connais un couple de parents, ils ont été soulagés quand on leur a dit que leur fils souffrait d'une forme d'autisme. Parce que les comportements de leur enfant faisaient que, forcément, on leur posait la question "Mais... Qu'est-ce qu'il a?". Et jusqu'à ce que l'enfant ait 5 ans, ils répondaient "rien... il n'a rien". Et le questionneur prenait l'air gêné du gaffeur, ou bien l'air entendu du censeur qui pense que, vraiment, tu as raté l'éducation de ton gosse. A partir de 6 ans, ils ont pu répondre "il est autiste". Et même si cette réponse-étiquette leur a occasionné une souffrance infinie, les réactions n'étant plus les mêmes, ils ont gagné en sérénité. Leur fils n'avait plus "rien", il avait quelque chose. 
C'est vrai que ce serait encore mieux si tu pouvais compter sur la compassion universelle des gens qui t'entourent, et te passer des étiquettes, mais bon... La compassion universelle, c'est un processus, on y travaille.

Les étiquettes, ça peut aussi aider à comprendre ce que tu ressens. Je l'ai déjà dit ici, j'ai des enfants HP. Ces enfants-là, souvent, ne réagissent pas comme les autres enfants et peuvent souffrir d'incompréhension de la part non seulement de leurs pairs, mais aussi des adultes. Comme leur père et moi avons été précoces aussi en notre temps (à l'époque, on disait "surdoué"), nous avions reconnu les signes et nous leur avions expliqué ce qui se passait dans leur cerveau (autant que possible). Je ne dis pas que leur donner l'information les a sauvés mais cela les a aidé à prendre de la distance. Pourtant, c'était une étiquette.

Mais alors, quel est le problème avec les étiquettes? 
D'abord, ça enferme. Si, tout petit par exemple, tu as été reconnu dans tel ou tel aspect de ta personnalité, même si c'est réel à la base, il y a un risque que tu ne t'en sortes pas et que tu restes à vie la rigolote à lunettes que tu étais en CP ou bien le gentil garçon que tu étais au collège... Et bon, ça peut être lourd, ou gênant. Surtout quand toi, tu te vois en vamp mélancolique ou que tu te perçois comme un bad boy en Harley (bonjour les clichés!).
Ensuite, il y a un risque de conformisme. Encore une fois, si je reprends les exemples précédents, tu ne te sens peut-être pas la rigolote à lunettes ou le gentil garçon mais si ce sont tes parents, ton papy que tu aimes, ton prof préféré ou tante Jeanne qui est morte qui te l'ont dit et répété, eh bien tu vas incarner la rigolote ou le gentil. 

A vie. 

Parce que ce serait trop difficile de faire mentir tante Jeanne, ou Maman ou Papy. Ou de décider qu'ils se sont trompés. Et c'est ainsi que tu ne vis pas ta vie mais celle qui a été écrite pour toi dans le script du gentil ou de la rigolote. 



 Et tout ça, tu vas me dire, pour un petit mot de rien du tout? Ben oui.... Parce que, parfois, on a l'impression de poser délicatement un petit post-it aérien, comme ça, presque pour rire.... Et va savoir pourquoi, l'autre, il le reçoit comme une marque gravée dans sa chair au fer rouge.

Comme pour le capitaine Haddock et son pansement, l'étiquette et ce qu'elle représente viennent occuper tout l'espace mental. Que ce soit pour s'y conformer ou pour s'en débarrasser, une grande partie, voire toute notre énergie est mobilisée. 

Je fais l'hypothèse que ça n'aide pas les enfants à se concentrer par exemple, ni les adultes à rester serein ou à entrer en intimité. Je forme donc le souhait que l'on évite un peu plus la facilité des étiquettes et que l'on procède de temps en temps à un décollage rigoureux des étiquettes existant dans nos relations. C'est possible de décoller les étiquettes, et c'est plus facile à deux ou à plusieurs.


* Réponse de Gérard Guasch: La référence est "L'affaire Tournesol" (1956). À la suite de l'explosion de la maison du professeur Topolino, le capitaine Haddock se retrouve affublé de plusieurs sparadraps, dont un sur l'arête du nez. Le petit sparadrap va voyager de la page 45 jusqu'à la page 49 ! 


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